Depuis Johannesburg, DJ Okapi et Shane Cooper mettent les jeunes talents jazz du pays sous les projecteurs à travers 12 titres sélectionnés avec finesse et pressés sur vinyle. Okapi a répondu à nos questions.
À l’heure où la prolifique scène jazz londonienne continue d’envahir la planète comme du lierre sur un mur, d’autres pays semblent suivre la même dynamique. C’est le cas de l’Afrique du Sud. Tous deux basés à Johannesburg, le disquaire DJ Okapi et le bassiste Shane Cooper s’associent pour donner un aperçu de ce qui se trame autour d’eux depuis quelques années. Sur la compilation New Horizons, ils sélectionnent une douzaine de collectifs qui semblent avoir les épaules assez larges pour représenter cette nouvelle scène trop souvent occultée à l’international. Cette jeunesse inspirée ancre le solide héritage des anciens dans le présent et véhicule des messages actuels, entre histoire et réalités sociales contemporaines. New Horizons pourrait bien devenir le pendant sud-africain de la désormais légendaire compilation londonienne We Out Here sortie chez Brownswood en 2018… Le curateur et digger DJ Okapi nous dévoile sa vision.
Comment avez-vous choisi les artistes de la compilation ? Quelles étaient les critères de sélection ?
Ce sont de jeunes artistes de jazz sud-africains qui ont sorti leurs propres albums ces dernières années. Tous datent de 2016, à l’exception de Dream State du Kyle Shepherd Trio sorti en 2014. La chanson titre de cet album a sans doute inauguré l’entrée du jazz sud-africain dans cette nouvelle ère. Je pense que Shane et moi avons d’abord décidé de qui nous voulions présenter, puis nous avons choisi les morceaux qui nous semblaient être les meilleurs moments de leurs albums récents. Il y a une exception, le morceau « Slipstream » de Mabuta, jusqu’à présent inédit et qui fait suite à l’album Welcome To This World, sorti également sur Afrosynth en 2018. Nous avons également dû réfléchir à la combinaison qui fonctionnerait le mieux pour montrer la diversité des sons et des artistes en la rendant aussi cohérente que possible dans son ensemble, tout en ayant trois pistes et moins de 16 minutes sur chaque face. Certaines pistes sont longues, 5 ou 6 minutes ou plus, tandis que d’autres ne durent que 2 minutes ou même moins, ce que j’aime beaucoup. Il y avait beaucoup d’autres prétendants qui n’ont pas été sélectionnés, pour diverses raisons.
Selon toi, quelles sont les différences principales entre cette scène jazz sud-africaine et celles du reste du monde, en particulier à Londres ?
La scène jazz d’Afrique du Sud est unique au sens où elle est façonnée par notre histoire, notre politique et nos dynamiques sociales. Son aspect multiracial, par exemple (non seulement pendant l’apartheid mais aussi aujourd’hui), revêt ici une signification particulière compte tenu de notre histoire. Beaucoup d’artistes de jazz de l’ancienne génération étaient dispersés dans le monde entier, en exil – on peut affirmer que les musiciens sud-africains ont été beaucoup plus influents sur la scène britannique ou européenne au sens large que l’inverse. Je parle de musiciens comme Dudu Pukwana, The Blue Notes, Pinise Saul, Julian Bahula, Hugh Masekela, Bheki Mseleku, Abdullah Ibrahim – la liste est interminable. Aujourd’hui, le jazz en Afrique du Sud porte cet énorme héritage, mais continue également d’évoluer. Il n’est plus enraciné dans cette seule histoire, il parle aussi des réalités et des luttes d’aujourd’hui, qui ne sont tout aussi graves ou tragiques. En fait, pour un musicien de jazz en Afrique du Sud, il est probablement prudent de dire qu’il est beaucoup plus difficile de survivre de son art que pour les générations précédentes. Et la réalité quotidienne ici est différente de ce à quoi un musicien (ou n’importe qui d’autre) est confronté dans les pays plus « développés ». Tout cela façonne la musique.
S’agit-il d’une compilation one-shot ou peut-on en espérer d’autres ?
J’espère pouvoir en faire plus – il n’y a clairement pas de pénurie de talents ici en Afrique du Sud. Les compilations restent un format sympathique pour présenter aux auditeurs un son ou une scène. Idéalement, le but est de créer une demande à la fois en Afrique du Sud et à l’international pour des albums complets d’artistes individuels ou de groupes – qu’il s’agisse de nouvelles sorties, de rééditions d’anciens albums devenus trop chers en vinyle, ou des albums récents uniquement sortis digitalement ou sur CD mais jamais sur vinyle, ce qui est souvent le cas en Afrique du Sud où il n’y a plus d’usines de pressage. De cette manière, les artistes en bénéficieront davantage par rapport à une compilation. Mais New Horizons est un pas dans cette direction.
La compilation sera disponible aux alentours du 21 septembre 2020. Précommandez-la et écoutez des extraits ici.